6e colloque international du CIREM 16/18: Parcours de formation. Pédagogies rêvées, pratiques éducatives et transferts culturels à l’époque moderne
Dans la longue histoire des débats autour des pratiques éducatives, la première modernité représente un épisode particulièrement significatif. Entre la Renaissance du XVIe siècle et l’époque des Lumières, nombreux sont ainsi les projets d’éducation où s’exprime une mutation cruciale de la pensée pédagogique, depuis le Plan des études (1511) d’Érasme jusqu’au « Règlement pour l’enseignement » (1844) des Ursulines de Québec, en passant par le traité De l’Éducation des filles (1687) de Fénelon ou encore Some Thoughts Concerning Education (1693) de John Locke. Dans tous les cas se trouve désormais placé au cœur de la réflexion ce nouvel idéal : favoriser l’autonomie de la conscience chez l’élève, grâce au développement des capacités de discernement critique qu’assure la culture des arts, des lettres et des sciences.
Dans la pensée humaniste moderne, ce rôle pédagogique et critique confié à la culture générale était tiré de la lecture des philosophes de l’Antiquité, et notamment de Cicéron qui estimait que notre humanité ne peut pleinement s’épanouir sans la culture des humanités. Pour les Anciens, en effet, on ne saurait ni apprendre à se gouverner soi-même, ni même interagir avec autrui sans se mettre à l’école de la philosophie et des arts du discours. Tout en s’appropriant cet héritage, la réflexion pédagogique moderne témoigne cependant d’un sens tout à fait inédit des individualités. Par exemple, le plan d’éducation idéale qu’imagine Rabelais se donne à lire dans une lettre qu’envoie le personnage de Gargantua à son fils, Pantagruel (Pantagruel, 1532, chap. VIII). De même, à l’autre extrémité de l’époque moderne, l’Émile (1762) de Rousseau tient à la fois du traité pédagogique et du roman d’éducation. Dans tous les cas, le monde possible qu’imagine la fiction invite à concevoir des principes pédagogiques généraux à partir d’une expérience singulière qui se veut attentive aux particularités de l’individu.
Depuis l’ouvrage pionnier qu’a consacré Philippe Ariès à L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime (1960), les historiens ont bien montré en quoi l’époque moderne se caractérise par cette conscience de plus en plus affirmée des particularités, qu’illustre entre autres la création d’une école s’organisant autour de classes distinctes fondées sur les différences d’âge. Au surplus, ce même souci de la prise en compte de la diversité s’affirme dans les débats que suscite la question de l’éducation des femmes. C’est ce dont témoigne, au terme de la période historique que prend pour objet ce colloque, le « Règlement pour l’enseignement » (1844) des Ursulines de Québec, qui recueille l’héritage du siècle des Lumières au profit de l’éducation des filles et de manière à ouvrir la voie aux réformes pédagogiques qu’entreprendra la seconde modernité, celle des XIXe, XXe et XXIe siècles.